Les télépathes contre le bullshitting

Ecoute, je vais pas te le dire cent fois, internet, d’arrêter de nous emmerder avec cette obsession pour la « vérité ». C’est malsain.

C’est naturel, sans doute, de lire les blagues de bureau façon Jim dans The Office US de 27/b6 et de croire que c’est 100% vrai, ou de lire les E-mails From An Asshole et de se dire « on me la fait pas, ces trucs sont complètement inventés ». La seule vérité, c’est que tu n’en sais absolument rien.

Tiens, pour reprendre l’exemple de nos chers Doctissimo M’A Tuer, on a pu voir toutes sortes d’attitude dans les commentaires de notre article, et je ne sais pas laquelle est la pire. Est-ce celle de croire que tout est vrai et que Doctissimo est un repaire de malades (bon, OK, oui, c’est un repaire de malades à la base, mais des fois ils ont juste un rhume), ou celle de croire dur comme fer que tous ces messages sont des trolls parce qu’aucun humain ne pourrait jamais fantasmer sur les nains ou essayer de manger son caca ? A moins que les pires soient ceux qui sont persuadés d’avoir un bullshit detector 100% fiable et qui font le tri entre trolls et vrais fous les yeux fermés.

Soit tous ces types ont la tête pleine de bullshit eux même, soit ils sont télépathes.

Dans son essai « on bullshit« , le philosophe Harry Frankfurt essaye d’expliquer ce qu’est le « bullshit » et ce qui le différencie du mensonge en particulier. Il identifie le bullshitter comme quelqu’un qui, par scepticisme ou par simple manque d’intérêt, n’a aucune considération pour la vérité de ses propos. Le menteur croit qu’il connaît la vérité, et il la respecte en ce sens, sinon il ne pourrait pas dire son contraire. Pour le bullshitter, la réalité est inconnaissable ou accessoire, et il peut aussi bien dire la vérité que mentir quand il vous bullshitte, ce qui compte c’est son motif ultérieur, masqué par ses propos.

Une des sources de ce phénomène, ce serait le culte de la « sincérité »  né d’un scepticisme global qui voudrait qu’on soit « fidèle à soi même » parce qu’on ne peut pas être fidèle à une réalité inconnaissable. Mais selon Frankfurt, si nous sommes incapables de connaître la réalité, il n’y a aucune preuve que nous soyons capable de mieux nous connaître nous même.

Mon sixième sens télépathique de la Force me dit qu’il n’aime pas trop le bullshitting.

Personnellement, je ne vois pas de solution réaliste à court terme au problème du bullshitting. C’est un problème endémique de notre société. En fait, la seule solution imaginable serait d’avoir un moyen de connaître la vérité à coup sur.

Il y a deux moyens utilisés pour ça, le premier étant de définir la vérité une bonne fois pour toute et de s’en tenir à ça. En clair on abandonne la science et on en revient aux superstitions religieuses.

L’autre moyen, ce serait de développer un don pour la télépathie. C’est visiblement le chemin choisit par pas mal d’entre nous, et ça marche plutôt bien pour eux s’ils ne sont pas du genre à se remettre en cause.

Ces deux solutions n’arrêtent pas le bullshitting. Ils ne font que le mettre sous le tapis. La solution que je propose, c’est d’embrasser le problème. Si la sincérité de ton interlocuteur est impossible à jauger, arrête de t’en préoccuper. Accepte la façon dont il se présente non pas comme vraie ou fausse mais comme ce qu’elle est, une simple présentation. Arrête de vouloir connaitre la vérité. Aime le bullshit.