Serious Business
J’ai lu pour la première fois « No Logo, la tyrannie des marques » de Naomi Klein il y a peu. Pour ceux qui ne le savent pas, c’est le livre de chevet des antipub, de Thom Yorke et de tous les alter-mondialistes. Un peu plus de dix ans après sa publication, ça reste une lecture plutôt intéressante, mais ça l’est en partie parce que le livre a drôlement vieilli.
L’auteur a fait le choix assez malin à l’époque de ne pas faire de prêchi-prêcha : elle expose simplement les fait, laissant l’indignation du lecteur venir d’elle même. Sauf qu’en lisant le livre en 2011, on se rend bien compte que l’indignation qui nous serait venue il y a dix ans sur certains passages n’est plus là aujourd’hui. Tout ce qui porte sur les marques semble d’une grande naïveté alors que c’était si révélateur à l’époque : Nike ne vend pas des produits mais un style de vie ? Les joueurs de la NBA sont managés comme des marques ? Les marques emploient des « chasseurs de cool » pour tenter de s’approprier le langage des jeunes ? No shit.
A l’époque on s’amusait à détourner les logo FNAC pour leur faire dire Fuck et c’était une vraie déclaration de guerre contre le système. Aujourd’hui on s’amuse à mettre un costume de Megaman sur la mascotte Android parce qu’ils sont trop mignons et qu’on les adore.
Tout ça, c’est bien sur la faute d’internet. No Logo a été publié par Knopf Canada, filiale de la multinationale de l’édition Random House, qui venait alors de se faire racheter par le Grand Ancien Bertelsman AG. Le livre aurait beaucoup inspiré Radiohead lors de l’enregistrement de Kid A, un album anti-corporate et anti-commercial et distribué par EMI et numéro un des charts aux USA, au Royaume Uni, en France, au Canada et ailleurs.
Nul doute que la marque Radiohead a pas mal aidé commercialement la marque No Logo avec ce bel exemple de synergie, qui ne serait plus tout à fait possible depuis que nous avons détruit l’industrie de la musique en utilisant Napster, Soulseek, Oink et Megaupload.
Dans les années 1990 les artistes « alternatifs » signé par des majors avaient assez de thunes pour se permettre de refuser de prêter leur musique à une pub, et ceux qui collaboraient avec l’ennemi portaient pour toujours la marque de l’infamie. Même s’ils prêtaient leurs morceaux, beaucoup d’artistes plus mainstream rechignaient quand même à apparaître en personne dans les pubs Tchin Tchin ou Madrange. Aujourd’hui, on peut être cool et apparaître dans une pub pour Blackberry, personne ne vous reprochera de faire un DJ set pour une soirée Absolut et on lève à peine un sourcil lorsque vous faites une séance d’enregistrement dans le studio Converse. On comprend bien que les artistes qu’on a ruinés doivent trouver de l’argent quelque part, et c’est toujours mieux que s’ils venaient nous faire chier dans le métro.
Aujourd’hui, pour être crédible, No Logo devrait être un eBook auto-publié (ou du moins chez un tout petit éditeur) sous licence creative commons. D’ailleurs, aujourd’hui Radiohead s’autodistribue.
La guerre du branding est fini : les marques veulent-être nos amis sur Facebook et ça ne semble pas un problème pour la nouvelle génération de les accepter. Comme on l’a heureusement vu ces derniers mois, ça ne veut pas dire que nous sommes tous indifférent, au contraire, la crise nous a poussé à être plus malin et, comme des flics, on a suivi l’argent. Le problème n’est plus que des marques nous laissent vivre dans une illusion de confort en exploitant le tiers monde, le problème ce sont les institutions qui financent tout ça et qui risquent de nous transformer nous en tiers monde.
C’est bien, c’est du serious business, il était temps qu’on s’en préoccupe. Une autre de nos grosses préoccupations collectives, c’est internet. Facebook, Google, l’open data, la vie privée, tout ça. C’est peut-être que je lis un poil trop OWNI, mais ça a quand même l’air de bien faire flipper les gens, ces questions. Boum Box est probablement au moins aussi coupable que n’importe quel webzine : nous sommes un peu comme le JT de TF1, sauf qu’au lieu de faire peur avec les immigrés et les assistés, on fait peur avec les bases de données et les mouchards dans les smartphones.
Ce n’est pas totalement injustifié, mais on peut vite tomber dans l’excès, voire la paranoïa, et se retrouver à écrire avec le plus grand sérieux du monde des articles sur pourquoi l’obligation d’avoir un compte Facebook pour Spotify est scandaleuse et dangereuse et pourquoi il ne faut absolument pas utiliser ces deux services. J’ai perdu le lien que j’aurais du vous mettre, là, mais là où je voulais en venir, c’est qu’à l’époque de No Logo, on ne se préoccupait pas encore tant de ces questions, on se contentait de se créer un faux compte avec une adresse e-mail bidon pour accéder à ce qu’on voulait. C’était une forme de hacking primitive, si vous voulez, et c’était bien moins chiant que d’adopter des positions idéologiques sur tout et n’importe quoi.
Quand j’étais petit, j’ai passé des heures avec mon frère et ma soeur à jouer à SRAM, un jeu d’aventure avec une interface textuelle sur le CPC d’Amstrad. Soyez patients s’il vous plaît, je suis en train de faire ce truc où je semble passer du coq à l’âne mais où au bout d’un ou deux paragraphe, je révèle que ce que je raconte est en fait bien dans le sujet.
Quand on commençait à tourner en rond, on finissait toujours par entrer des gros mots, un cas qui avait été prévu par les développeurs, qui à la moindre insulte vous envoyaient vers un écran présentant une image de cochon, et la légende disait un truc genre « Pas mal vos photos de vacances! ». C’était les années 1980, on était tous beaucoup plus innocents, vous comprennez. Enfin pas tant que ça… Pour reprendre la partie et quitter cet écran, il fallait présenter ses excuses. Le jeu, pour nous, c’était de trouver une façon d’insulter le programme tout en s’excusant sans que celui-ci ne s’en rende compte. Par exemple si on écrivait « je te demande pardon, connard », il n’acceptait pas nos excuses, mais si on écrivait « Accepte mes excuse et mets les toi où je pense », ça marchait.
Ca aussi, quelque part, c’était une façon de hacker le système. Ou du moins de le contourner. Et à mesure que les interfaces comprennent de plus en plus le langage naturel, il va être de plus en plus faciles de pratiquer ce genre de détournement. SIRI (et Majel) comprennent ce que vous leurs dites ? Racontez n’importe quoi. Gmail vous emmerde avec ses pubs ciblées ? Incluez quelques « mots tabous » dans votre signature et les pubs disparaîtront. Le hacking comme ça, c’est facile, même Idiot Nerd Girl peut le faire !
Je ne dis pas qu’on devrait cesser de se préoccuper de Facebook et de Google et de Carrier IQ, d’Hadopi et Loppsi et SOPA, etc… Peut-être que nous devrions avoir très peur de Marc Zuckerberg. C’est mon fond de commerce après tout.
Mais avant de monter sur nos grands chevaux au prochain petit couac de Timeline, rappelons nous qu’on a a faire à des machines idiotes, et que nous aurons toujours des moyens de les tromper. Il est peut-être plus productif de pirater le système que de faire de grands discours de principe. Après tout, No Logo ne nous a pas sauvé de la tyrannie des marques, mais à chaque fois que vous coupez le son et changez d’onglet en attendant la fin d’une pub en pré-roll sur Youtube, le mot tyrannie semble un peu moins adapté.
Les pubs Herta ont toujours été plus sophistiquées que celles de Madrange.
>Feels bad man.
SOPA = Serious Business
Discours intéressant mais je ne peux m’empêcher de déplorer l’esprit de résignation qui y règne. Si le hack de la pub est la solution du moindre mal, pour ma part je crois que chaque citoyen a le droit à une tranquillité d’esprit et de navigation sans avoir à contourner le système toutes les deux minutes. Chose que ma grand mère n’a pas été éduqué à faire.
Dans la même vaine, on voit que même certaines techniques de détournement, quand elles deviennent trop grand public, sont corrompu par les grandes industries. Je pense évidemment à Ad Block Plus…
http://antonin.moulart.org/faut-il-initier-un-fork-de-ad-block-plus/
Je ne voulais pas écrire « résignez vous » mais plutôt « choisissez vos combats ».
Nice article! Je n’ai pas encore lu No logo, j’attendais de finir the shock doctrine, mais maintenant va falloir que je m’y mette. J’avoue rester sceptique a l’engouement des masses à « liker » tout et n’importe quoi (du snuggies au vagiclean contre les mycoses), mais étant donné la superficialité des relations de nos jours entre les individus, je me dis pourquoi pas avoir une relation plus fusionnelle avec les marques… Bon après en soulevant la question au milieu de tout les community manager qui opère ici, j’attends votre opinion sur le sujet, mais on ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est le signe d’une société plus trop bien dans sa peau.
Heureusement comme tu le soulignes il y aura toujours des malins pour contourner et abuser le systéme, et ça me redonne de l’espoir.
et je ne sais toujours pas insérer une image dans un commentaire… un comble alors qu’à l’époque j’intégrais de chatoyants gif animé sur mes pages multimania…
J’ai réparé ça pour toi. C’est impossible de mettre directement une image sur Boum Box, il faut vraiment qu’on bidouille back office. On va dire qu’on fait ça pour modérer à posteriori les images. Vous mettriez tous des photos de cadavres d’enfants nazis pédophiles, sinon.
« La superficialité des relations de nos jours entre les individus »… Mouais, par rapport à quand ? Quelle superficialité ?
Je me méfie du syndrôme « C’était mieux avant ». La division du travail social et le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique, ça ne date pas de 2011 : http://fr.wikipedia.org/wiki/De_la_division_du_travail_social
Chapeau pour cet article, ça m’a pas mal retourné

Effectivement le gamin qui écoutait Skyrock et s’achetait des survets reebok était plus réfractaire au message publicitaire que l’adulescent qui conspue FB et Apple que je suis devenus.
Et comme dirait l’autre, ça fait mal
Un article pertinent et bien dosé.
Surtout réaliste. Oui, ce n’est pas idéal mais bon… ça serait bien la première fois! Alors plutôt chercher à contourner, à biaiser, à tirer son épingle du jeu, bref à jouer au plus malin et à gagner.
C’est toujours le rapport de force qui est déterminant. Le notre, en plus de s’être intellectualisé, se virtualise. C’est inquiétant mais tout juste, comme tout ce à quoi on est pas encore habitué…
Dieu merci l’égoïsme est une valeur sûre.
SRAM !!!!!! et le lycanthrope et tout ça !!!!
j’avais 10 ans. OMG le front kick à ma nostalgie pré-pubère.
Sinon, je l’ai lu à la sortie, c’est vrai que la perspective n’est plus DU TOUT la même.
A l’époque, il ne m’avait pas appris grand’chose. Nike achète des Nike et brande le produit. Nike achète des hommes et brande les hommes. Le web a surtout fait que la récupération va tellement vite, et qu’elle est orchestrée par les internautes comme par les marques.
Si je puis indiquer Un bouquin de Quesada, intéressant là dessus : L’esclavemaître : l’achèvement de la philosophie dans le discours publicitaire, et plus particulièrement le principe « d’autophagie » de la publicité, elle se nourrit de tout, et surtout d’elle même… Quel principe qu’elle ne puisse pas attaquer, du coup ?
C’est le bien.
Je reste sceptique sur la cool attitude qui consiste à croire qu’on est toujours plus fort que la pub. Au final, ce qui intéresse les boites qui buzzent, qui brandent, qui storytellent, c’est que tu buzzes, brande et storytelle, et qu’au final que tu adaptes ton comportement par rapport à des messages dominants. C’est le cas. Et croire qu’on baise le système parce qu’on cracke la suite Adobe, parce qu’on se ressert trois fois de limonade chez IKEA semble être un activisme, disons, de faible intensité.
Entretemps Klein a écrit « la statégie du choc » qui est parfaitement en phase avec cette époque.